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Les Africains meurent-ils plus du COVID19 en Europe qu’en Afrique ?

Faute de pouvoir se rencontrer, les médecins de l’association franco-africaine de cancérologie (AFAC) se sont réunis en visioconférence le 5 mai 2020. Ces leaders de la cancérologie africaine et française se retrouvent habituellement au printemps, pour faire avancer la cause du cancer en Afrique. Si le COVID19 a fait oublier pendant quelques semaines toutes les autres maladies, rappelons-nous que le cancer fait 10 millions de victimes chaque année dans le monde. Parmi elles, 70% viennent de pays ayant moins de 5% des ressources à allouer aux cancers. Ces pays sont majoritairement africains. Pour rappel, le cancer tue plus que le sida, la tuberculose et le paludisme réunis.

Mesures de protection face à la pandémie de COVID-19 en Afrique

La Côte d’Ivoire, le Mali, le Congo-Brazzaville, le Burkina Faso et la France ont constaté le recul des prises en charges de cancers pendant cette période du COVID19, et attendent un rebond de cas à venir. L’Afrique s’est mise sagement aux confinements dès le mois de mars, ainsi qu’aux protections barrières, avec port de masque. La mise en quarantaine des capitales a prévalu, ainsi que l’arrêt de nombreux transports internationaux et inter cités, et la prise de conscience d’une impérative nécessité de ne pas se laisser déborder par le COVID19. A la date du 17 Avril 2020, moins de 1000 décès étaient officiellement déclarés en Afrique pour 1,3 milliards d’habitants, alors que 25 000 décès ont été comptabilisés en France pour 67 millions d’habitants, et un peu plus en Italie.

Bilan des décès africains en Europe

Les Africains de France, d’Italie et d’Europe, ont payé un lourd tribu humain au COVID19, ce qui n’a pas du tout été le cas pour l’instant sur le continent africain. La région Île de France qui compte 2,3 millions d’immigrés, soit près de 19% de sa population, en est un exemple. Le département de Seine-Saint-Denis abrite une forte population africaine. Sa population émigrée a été particulièrement touchée par le COVID19, avec 208 décès au total pour 1,3 millions d’habitants à la mi-mars, contre 80 décès pour la population équivalente de l’Essonne. Les statistiques ethniques interdites en France nous empêchent d’en savoir plus sur la répartition de ces décès. Néanmoins, comme les relais médicaux de terrain le constatent, les Africains sont bel et bien touchés par le COVID19 en France.

Nous connaissons le phénomène d’immunité collective, avec comme exemple, des populations protégées du paludisme en Afrique, perdant leur immunité une fois immigrée en Europe.

Y aurait-il une immunité africaine particulière au COVID19 ?

Les chiffres et les études nous manquent ; néanmoins, les équipes médicales africaines ont récemment indiqué l’absence de saturation de leur système sanitaire face au COVID19, à ce jour.

Malgré le faible nombre de tests disponibles, les gouvernements africains ont fait des efforts considérables, afin de les mettre à disposition des populations civiles et médicales. La gratuité des tests est à souligner, ce qui n’est pas habituel en Afrique. Les mesures préventives ont été remarquables, les populations africaines étant déjà sensibilisées aux maladies infectieuses et tropicales. Cette culture de la lutte infectieuse en Afrique a joué un rôle certain dans la discipline nouvellement imposée. Il est vrai que 60% des Africains ont moins de 25 ans, et que l’obésité les touche moins qu’en Europe, alors qu’on sait que le COVID19 est particulièrement dangereux pour les sujets âgés et les patients en surpoids. L’interruption précoce des transferts aériens et les mouvements de population limités, ont été pour le continent africain une chance, aussi importante que les faibles densités de population dans ses pays. Une probable immunité préexistante a été suggérée, en raison du contact avec la malaria et des vaccinations systématiques au BCG, responsable de la tuberculose. Cela pourrait également expliquer une forme de protection antivirale.

La conférence de l’AFAC a mis en évidence la bonne appropriation des téléconsultations en Afrique, aidées par la récente réussite de la révolution numérique sur le continent. Cela a permis un suivi et une répartition des patients à distance. Les partenariats, notamment avec l’association Médecins Sans Frontières, qui gère les soins à domicile au Mali, ou avec l’Institut Pasteur, qui diffusent les tests biologiques en Côte d’Ivoire et sur le continent, ont apporté une aide organisationnelle précieuse, et légitimement saluée.

Résilience culturelle des populations africaines

Dans nombre de pays, la résilience culturelle des populations africaines a permis, de créer une communion humaine remarquée. Si la pandémie annoncée n’a pas encore eu lieu en Afrique, tous les leaders médicaux ont appelé à l’humilité et à la poursuite de la mobilisation collective. L’impact d’erreurs de communication en Afrique aurait des conséquences négatives amplifiées. La population africaine d’Europe, en particulier sur certains territoires français comme la Seine-Saint-Denis ou en Italie, a montré au monde que le COVID19 n’était pas un virus de Blancs, tout comme le cancer n’est pas une maladie de Blancs.

Le plaidoyer pour une revalorisation des ressources en faveur de la lutte contre les nombreuses maladies infectieuses est aussi important que celui pour le combat contre les cancers. Toutes les vies sauvées se valent. Les acteurs de la santé africains et français sont unis. Ils n’oublient pas que si le COVID19 aura fait prochainement 300 000 morts dans le monde, les infections respiratoires virales emportent plus de 2 millions de personnes chaque année. Les cofacteurs de risque du COVID19 constatées en Europe ou en Amérique, comme le diabète, l’hypertension artérielle, ou l’insuffisance rénale chronique, sont autant de fléaux africains déjà bien répandus. Ils sont pris en charge avec moins de moyens qu’en Europe, et doivent nous alerter.

La prudence de tous les médecins de l’AFAC s’associe à l’étonnement positif d’une pandémie qui, nous l’espérons, aura été moins africaine sur le continent.

Docteur Alain Toledano, Cancérologue
Président de l’Association Franco Africaine de Cancérologie, Levallois-France

Avec les contributions de : Professeur Judith Didi-Kouko Coulibaly, (Secrétaire Générale de l’AFAC)et Pr Hortense Aka Dago-Akribi, Abidjan-Côte d’Ivoire ;

Professeur Jean-Bernard Nkoua Mbon, Congo-Brazzaville ; Dr Aboubakar Bambara, Ouagadougou-Burkina Faso ; Dr Fatoumata Sidibe, Bamako-Mali